2.6 Les modes normaux


La nécessité d'une initialisation des champs issus de l'analyse avait déjà été présentée dans la documentation sur EMERAUDE: limiter les ondes rapides ( dites aussi ondes de gravité ) qui, présentes dans une proportion irréaliste dans les champs analysés, peuvent conduire à une évolution erronée du modèle dans les premières heures, voire dans les cas les plus défavorables, faire "exploser" le modèle.

L'initialisation permet essentiellement de fournir en démarrage au modèle numérique une analyse "conforme" à la dynamique du modèle et de disposer, dès les toutes premières échéances, de sorties graphiques exploitables, non bruitées par les oscillations parasites dues à l'adaptation de champs non initialisés au modèle. Il lui faudra cependant conserver le maximum d'informations pertinentes de l'analyse objective.

En particulier, l'initialisation comprend l'ajustement au géostrophisme: à nos latitudes et pour les échelles qui nous intéressent ( échelle synoptique ), c'est au champ de masse ( c'est-à-dire finalement au champ de pression ) de s'adapter au champ de vent.

Il faut insister sur le fait que c'est l'analyse initialisée ( c'est-à-dire l'analyse modifiée par le processus d'initialisation ), notée "PS 0h" sur les sorties de modèles, qui sert de point de départ au modèle, et non l'analyse objective non initialisée, notée "AS" ( disponible en Pmer et à 500hPa ).

Ainsi, si la dépression est creusée à 1000hPa sur l'AS et à 1005hPa sur la PS 0h, le modèle partira de la valeur 1005hPa: il n'aura jamais eu connaissance de la valeur 1000hPa ( intervention de l'ajustement au géostrophisme: le modèle disposait pour cette dépression des champs de pression et de vent, la valeur au centre de la dépression a été ajustée en fonction du gradient donné par le champ de vent ).

Dans le cadre d'ARPEGE, l'optique choisie a été d'utiliser dans un premier temps une version ayant déjà fait ses preuves et qui, de plus, prenait en compte la collaboration avec le programme correspondant IFS du Centre Européen: l'initialisation par modes normaux. Des problèmes se sont malheureusement posés dans l'implémentation de cette méthode en géométrie étirée et un certain nombre d'aménagements ont été nécessaires.

Ce schéma n'est toutefois pas définitif. D'autres méthodes d'initialisation sont actuellement testées ( notamment la méthode des "filtres digitaux" ) et pourront être rendues opérationnelles suivant les résultats.

En utilisant la terminologie usuelle, le schéma retenu pour le moment dans ARPEGE est une initialisation non-linéaire diabatique mixte explicite/implicite par modes normaux. Nous allons en décrire succinctement la méthode, les problèmes rencontrés, les solutions retenues. Quelques souvenirs notamment sur les calculs matriciels seront nécessaires...

2.6.1 Le traitement explicite des modes normaux

2.6.1.1 Modes normaux et modes rapides: la technique

Nous nous plaçons dans le cadre d'un modèle barocline. L'atmosphère est décrite par un vecteur d'état X et par un système d'équations d'évolution F qui s'écrit sous la forme:

F est séparé en une partie linéaire L et une partie non-linéaire N.

On appelle modes normaux les fonctions propres du modèle linéarisé:

Compte tenu des propriétés de l'opérateur linéaire L, elles forment une base orthonormale permettant de décomposer le vecteur X. Ces fonctions propres sont séparables en "modes horizontaux", notés:


lambda est la longitude,phi la latitude, et en "modes verticaux". La décomposition d'un vecteur sur cette base est unique.

La décomposition en modes verticaux permet de transformer le modèle barocline F( X ), qui possède actuellement 24 niveaux, en une superposition de 24 modèles barotropes homogènes, de hauteurs équivalentes de plus en plus fines ( 12100m, 4500m, 1381m et 514m pour les quatre premiers modes ).

Par la suite, nous nous intéresserons essentiellement aux modes horizontaux ( on notera k l'indice vertical ).

Les modes horizontaux sont ainsi définis de façon théorique. L'interprétation "pratique" de chaque mode consiste à le voir comme une situation météorologique simplifiée, caractérisée par une distribution du champ de la masse atmosphérique ( soit encore la pression ) et du champ de mouvement ( vent ) qui, sous l'effet du modèle linéarisé, se propage à une vitesse donnée, correspondant à une fréquence s caractéristique ( s étant la valeur propre associée au mode ).

On se donne ensuite une fréquence de coupure sigmac qui va permettre de séparer les modes horizontaux en deux classes:

- les modes lents dits de Rossby pour sigma<sigmac

- les modes rapides dits de gravité si sigma>sigmac

Tout vecteur horizontal s'écrit alors sous la forme d'une combinaison linéaire de modes de Rossby ( indicés r ) et de modes de gravité ( indicés g ):

A noter que cette décomposition en modes rapides et lents servira également dans le schéma temporel ( paragraphe 4.3 ).

2.6.1.2 L'initialisation linéaire: la suppression des modes rapides

Elle se déduit simplement de (2):

L'initialisation linéaire revient à laisser inchangées les composantes lentes et à annuler les composantes rapides.

Les modes de gravité les plus indésirables ont ainsi été retirés du champ initial. Mais le problème ne s'arrête pas là, car nous n'avons traité pour le moment que le cas du modèle linéaire. Nous allons voir que les interactions non linéaires peuvent de nouveau exciter les ondes de gravité dans le cours de l'intégration, contrairement au but que l'on veut atteindre.

2.6.1.3 L'initialisation non-linéaire

Le modèle ARPEGE n'est pas simplement linéaire: dans les équations d'évolution du modèle apparaissent également des termes non-linéaires que l'on peut diviser en deux classes: une partie "dynamique" et une partie "physique" ( pour plus de précisions sur ces termes de dynamique et physique, se reporter à la fin du chapitre 3 ).

En prenant maintenant en compte ces termes non-linéaires, la projection de (1) suivant les modes rapides donne, pour chaque g:

On voit que, même si les Xg,k sont nuls à l'instant initial, la dérivée temporelle ( ou tendance ) des Xg,k est différente de zéro par l'intervention des termes non linéaires: les Xg,k, que l'on voulait annuler, peuvent donc redevenir rapidement importants en quelques itérations.

Il faut donc également annuler les tendances de ces modes rapides: c'est le but de l'initialisation non-linéaire ( NNMI ).

Cette solution est obtenue par itérations successives. Cependant, cet algorithme converge seulement

1) pour les modes correspondant aux hauteurs équivalentes les plus élevées

2) et encore à condition que la partie non linéaire N ne contienne que les termes dynamiques.

2.6.1.3.1 L'initialisation non-linéaire adiabatique

Compte tenu de la remarque 2) ci-dessus, on peut essayer de n'utiliser que les termes dynamiques de la partie non-linéaire lors du processus d'initialisation: l'initialisation est dite adiabatique ( elle ne prend pas en compte les termes physiques ).

Elle présente malheureusement comme principal défaut la destruction de la cellule de Hadley, ce qui s'avère assez gênant comme point de départ pour le modèle.

2.6.1.3.2 L'initialisation non-linéaire diabatique

Il semble donc préférable d'utiliser les termes dynamiques et physiques de la partie non-linéaire pour l'initialisation. Comment alors éviter la divergence de l'algorithme de calcul?

La solution retenue est d'atténuer les variations temporelles des tendances physiques. L'initialisation est dite diabatique: elle prend en compte les termes dynamiques et physiques.

En pratique, on remplace ces tendances physiques par un terme quasi-stationnaire, qu'on gardera constant au cours des itérations de l'algorithme de calcul; seules les tendances dynamiques seront évaluées.

En contrepartie de cette solution, deux problèmes sont cependant à signaler:

- les forçages diabatiques ( c'est-à-dire les influences de la physique ) sont malheureusement atténués.

- le traitement des ondes de marées. Ce phénomène, lié au forçage solaire sous les tropiques, est bien reproduit par les modèles numériques; il se traduit notamment sous les tropiques par des variations de la pression de surface. Il n'y a donc pas de raison de les modifier: or, l'algorithme les stationnarise en tant que modes de gravité. Il faudra donc commencer par les identifier correctement de façon à les exclure du processus d'initialisation.

2.6.2 La technique implicite

La méthode explicite décrite jusqu'ici s'avère malheureusement très coûteuse en place mémoire et en temps de calcul ( ils varient en fonction du cube de la troncature maximale, c'est-à-dire actuellement 119 3,5 ). Ceci est dû au nombre et à la taille des matrices qui servent à projeter les tendances du modèle ( connues dans l'espace spectral ) sur la base formée par les modes normaux ( "espace des modes" ).

En effectuant un choix un peu différent sur la forme de l'opérateur L ( nous n'irons pas plus loin dans les détails ), on parvient à simplifier considérablement l'écriture de ces matrices ( elles sont maintenant tridiagonales, c'est-à-dire seules la diagonale principale et les deux "diagonales" adjacentes sont différentes de 0 ).

Le gain est tel qu'il permet de s'affranchir de la projection sur les modes: l'algorithme est transcrit directement dans l'espace spectral ( il est dit implicite ), tous les calculs y seront alors effectués ( il n'y a plus besoin d'effectuer une projection dans l'espace des modes par l'intermédiaire de matrices lourdes à manipuler, la projection est écrite et contenue implicitement dans l'espace spectral ).

Concernant l'approximation utilisée, les tests montrent que les différences entre les termes calculés avec la méthode implicite et ceux calculés avec la méthode explicite concernent essentiellement les plus grandes longueurs d'onde.

En résumé, le schéma mixte utilisé dans ARPEGE consiste:

- à calculer les incréments avec la méthode explicite sur une troncature T25, de façon à bien évaluer les grandes ondes ( en fait, on pourrait même se contenter d'une T10 ou T15 )

- à calculer les incréments avec la méthode implicite sur la troncature équivalente maximale ( 119
( troncature ) 3,5 ( coefficient d'étirement ) ), ceci pour gagner en temps de calcul et en espace mémoire

- puis à juxtaposer ces deux types d'incréments. On gardera les valeurs implicites pour les grandes ondes, les valeurs explicites pour les petites ondes, la frontière entre les deux types d'ondes étant située pour une troncature T20.

A noter que c'est le même schéma qui est actuellement utilisé au Centre Européen.

2.6.3 Conclusion: l'initialisation dans ARPEGE

Elle doit être effectuée sur la sphère géographique réelle. En effet, le passage de la sphère transformée dans l'espace spectral est rendu trop complexe par le fait que le paramètre de Coriolis, sur la sphère transformée, ne s'écrit plus aussi simplement que sur la sphère réelle.

En conséquence, le schéma d'initialisation des champs analysés est le suivant:

à chaque itération du schéma et pour chaque mode:

- les tendances, calculées sur la sphère transformée, sont transférées vers la sphère réelle

- on calcule les incréments par la méthode d'initialisation par modes normaux sur la sphère réelle, en utilisant un schéma mixte explicite/implicite

- on transfère ces incréments sur la sphère transformée

- on corrige les champs sur la sphère transformée et on y calcule les nouvelles tendances

On montre que 4 itérations seulement sont nécessaires pour effectuer l'initialisation. Elles n'affectent que les quatre premiers modes verticaux ( au-delà, il y a divergence ).


2.7 Le cycle d'assimilation


Il est identique à celui d'EMERAUDE ( voir schéma suivant ).

Comme dans EMERAUDE, pour lancer le cycle d'assimilation du jour J, l'analyse du jour J-1 à 00UTC, utilisée en début de cycle est d'abord recalculée ( en prenant comme ébauche la prévision à 6h de base 18UTC du jour J-2 ), de façon à intégrer les observations du réseau de 00UTC arrivées après l'heure de coupure du matin.

Le cycle d'assimilation complet ( sur 24h ) n'est effectué qu'une seule fois par jour. Il est lancé vers 2330UTC pour l'analyse de 00UTC. Pour le modèle de l'après-midi, il n'y a pas de cycle d'assimilation complet; c'est la prévision à échéance 12h du modèle du matin qui sert d'ébauche pour l'analyse de 12UTC.

2.7.1 Les temps de calcul

L'extraction des données de la BDM dure entre 2 et 3 minutes pour chaque cycle d'assimilation de 6h, soit une durée totale de 10 à 15mn pour l'ensemble du cycle d'assimilation.

Une analyse demande environ 700 secondes ( à peu près 12 mn ), une prévision à 72h d'échéance 3400 secondes ( un peu moins d'une heure ).

La préparation des fichiers d'observations ainsi que les procédures de lancement du modèle se font sur le CDC. Les autres opérations sont effectuées sur le CRAY.

Il faut cependant remarquer que les temps donnés ici sont des valeurs CDC ou CRAY, différentes de celles à partir desquelles les échéances du modèle sont disponibles pour le prévisionniste. En effet, entre les deux s'intercalent les transferts de fichiers vers la BDAP et le tracé des champs.

2.7.2 L'heure de coupure

On appelle "heure de coupure" ( ou cut-off en anglais ) l'heure à laquelle on cesse la prise en compte des observations pour lancer le calcul de l'analyse qui servira de base au modèle. Depuis le printemps 1994, l'heure de coupure a été avancée ( cut-off court ) pour permettre aux prévisionnistes de disposer du modèle plus rapidement. Elle est fixée à 0150UTC pour le modèle du matin, à 1350UTC pour le modèle de l'après-midi.

Pour le réseau du matin, le cut-off à 0150UTC ne permet pas la prise en compte de toutes les observations effectuées au réseau de 00UTC, celles-ci pouvant mettre parfois plusieurs heures avant d'arriver ( d'où la ré-analyse 00UTC effectuée le lendemain, cf début du paragraphe 2.7 ). En revanche, il n'est pas possible de repousser le cut-off à un moment ultérieur si l'on veut disposer des sorties du modèle assez tôt dans la nuit.

A cet égard, l'option choisie pour le modèle du Centre Européen est différente: le modèle, basé sur le réseau de 12UTC, a un cut-off vers 0100UTC, de façon à prendre en compte le maximum d'informations pour son analyse.

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