Couplage océan/atmosphère à méso-échelle

Chercheur en charge de cette thématique:Hervé Giordani CNRM-GAME/GMGEC/MEMO

 1- Introduction

La compréhension du rôle de l’océan dans la variabilité naturelle du climat (ENSO, NAO etc ...) jusqu’à la génèse de phénomènes de méso-échelle atmosphériques (cyclones tropicaux et extra-tropicaux, évènements Cévenols, circulations secondaires, etc ...) et océaniques (frontogénèses, subduction, convection etc ...) impose de mener des études détaillées sur les processus de couplage entre l’océan et l’atmosphère. Ce couplage est
complexe, il est donc particulièrement difficile de le représenter correctement dans la physique des modèles. Citons à cet effet l’incapacité chronique des modèles couplés à bien simuler la langue d’eau froide, le courant en surface et subsurface et la mousson Africaine ainsi que leurs étroites interactions, dans l’Atlantique équatorial (Wahl et al.,2009).
Cette problématique mobilise aujourd’hui la communauté internationale et est un objectif majeur du programme AMMA-2.

Si formellement les processus physiques sont effectivement paramétrés dans les modèles, les phénomènes observés et simulés sont le résultat d’interactions non-linéaires complexes entre ces processus.
Le laboratoire numérique du modèle est alors souvent trop complexe pour accéder aux réels mécanismes d’un phénomène simulé.
Dans ces conditions, le modèle ne nous éclaire pas sur la nature d’un phénomène observé.
On peut seulement dire : ”le modèle reproduit bien la réalité ou ne la reproduit pas”.
C’est bien là un revers fâcheux et frustrant de la modélisation qui nous montre qu’une association sans cesse plus int´egrée du système ”Terre” peut finalement nous éloigner de la compréhension de
son fonctionnement intime. N’est-ce pas l’inverse qui est recherché ?
Une façon d’éviter celà est de s’appuyer conjointement sur des approches expérimentales, analytiques et une hiérarchie de modèles de complexité croissante, avec ou sans assimilation de données, pour
mieux identifier les processus qui font défaut ou qui sont mal représentés dans les modèles complets de complexité nominale.

La nécessité de comprendre et représenter de manière réaliste, la dynamique et la thermodynamique des couches limites atmosphérique et océanique et leur couplage dans les modèles numériques de climat ou de prévision du temps, a conduit les communautés atmosphérique et océanique à se structurer fortement autour de grands projets de recherche.

Ces projets sont multidisciplinaires et multi-échelles et intégrent à ce titre des moyens de mesures in situ et satellitaux et de modélisation numérique en étroite synergie.
Ces projets sont toujours internationaux car la documentation in situ conjointe et détaillée de phénomènes atmosphérique et océanique requiert des moyens qui dépassent ceux d’un seul pays.

Depuis une trentaine d’années, le couplage océan-atmosphère fait l’objet de nombreuses investigations et études dans le cadre d’efforts internationaux colossaux. Pour illustrer l’effort international dans ce domaine et sans être exhaustif, on peut citer les campagnes AMTEX (1976), JASIN (1978), KONTUR (1981), HEXOS (1984), FASINEX (1986), GALE (1988), SOFIA-ASTEX (1982), SEMAPHORE (1993), TOGA-COARE (1992-93), FASTEX-CATCH (1997), FETCH (1998), EQUALANT-99 (1999), POMME (2001), EPIC (2004), AMMA-EGEE (2006) et MOUTON (2008).
Les observations collectées par les bouées, les navires ou/et les avions déployés pendant ces campagnes ont documenté les propriétés de l’océan, de l’atmosphère, la température de surface de l’océan
(SST) et son état de surface dans des conditions atmosphérique et océanique très diverses.
De plus, ces campagnes de mesures sont aujourd’hui suffisamment nombreuses pour disposer de jeux de mesures de flux turbulent de surface couvrant une large gamme de stabilité statique et d’intensité du vent.
Ce point est d’une importance capitale pour calibrer les paramétrisations des échanges océan-atmosphère utilisées dans les modèles.
En effet ces paramétrisations comportent encore de fortes incertitudes qui sont sources de biais importants dans les simulations.
La richesse de ces observations offre aussi la possibilité de réaliser des bilans de chaleur de la Couche de Mélange Océanique (CMO) et de la Couche Limite Atmosphérique Marine (CLAM) assez complets pour mettre en perspective
les caractéristiques et les forçages locaux (SST, flux de surface, épaisseur de couche limite, en présence ou non de fronts ou tourbillons océaniques) par rapport à l’écoulement synoptique.
En effet, les interactions entre les conditions locales et l’environnement synoptique de grande échelle peuvent générer des phénomènes majeurs comme des cyclogénèses explosives, des cyclones tropicaux, du brouillard, de la convection atmosphérique ou océanique et des courants océaniques intenses, par exemple.

Lorsque la synergie des approches expérimentales et numériques décrite précédemment produit au terme de plusieurs années les avancées scientifiques espérées, la valorisation
ultime des résultats est atteinte lorsqu’ils participent à l’évolution de la représentation paramétrique des processus dans les modèles opérationnels et de climat.

 2- Un Modèle d’Océan Régional Simplifié

2.1- L’Atlantique Subtropical

Un des défits du programme POMME (Mémery et al., 2005) a été de se doter d’un modèle régional aux équations primitives permettant de réaliser des simulations annuelles à subméso-échelle réalistes pour une estimation des taux de subduction des eaux modales dans l’Atlantique subtropical.
Sans assimilation de donn´ees, Paci et al. (2005) ont montré que le modèle d’océan OPA simule des structures réalistes sur une durée maximale de 3
mois.
Au delà de cette durée, on pouvait penser qu’il suffirait d’assimiler de l’information pour corriger le modèle. Or la thèse de Paci (2006) a montré que l’assimilation hebdomadaire des données de hauteurs altimétriques dégrade fortement les scores (par rapport aux données in-situ) du modèle comparés à ceux obtenus en mode ”libre” nonassimilé. C’est précisément l’effet inverse à celui recherché ! En fait il s’est avéré que la procédure d’assimilation séquentielle produit des déséquilibres entre les champs de masse et de courant à chaque réinitialisation. Ces deséquilibres induisent des chocs et l’émission d’ondes de gravité pendant la période de retour à l’équilibre du modèle (spin-up) ce qui pour effet de détruire les structures physique et de dégrader le réalisme de la simulation.
Le problème était donc de rendre compatible l’assimilation de données et la physique du modèle.

L’idée a été de déveloper un modèle aux équations primitives 3D simplifié d’océan en injectant continùement des analyses de courants géostrophique dans l’équation du mouvement horizontal en remplacement du gradient horizontal de pression (Giordani et al., 2005a). L’ élimination du terme de pression dégénère le système d’équations primitives. Par conséquent, ce
modèle simplifié ne génère pas d’ondes de gravité et le courant total s’ajuste au courant géostrophique assimilé à la fréquence de Coriolis. Ici la séquence temporelle du courant géostrophique assimilé agit comme un guide/rail de basse fréquence qui empèche le modèle de dériver et de déveloper une dynamique irréaliste et ”chaotique” à plus long terme.
Il est important de noter que les équations thermodynamiques sont complètement prognostiques et non contraintes.
Le guide ne contraint donc pas directement le champ de
masse (comme dans les m´ethodes de relaxation classiques) mais donne naissance à un courant agéostrophique qui tend à réajuster continûment le champ de masse au guide par le biais des équations thermodynamiques. L’avantage de cette méthode d’assimilation est qu’elle ne génère pas de chocs et les structures simulées sont à tout instant cohérentes
(dynamiquement consistentes) avec le guide à toutes les échelles et particulièrement aux échelles plus petites que celle du guide géostrophique.

Une simulation annuelle a été réalisée avec ce modèle (Giordani et al., 2005b). Les nombreuses validations utilisant des données in-situ/satellite de température, salinité, de courant et de profondeur de couche de mélange à l’échelle du domaine, à méso-échelle (50 km) et à subméso-échelle (5 km) ont montré que la simulation annuelle est très réaliste. Ceci montre que le processus
d’ajustement au guide géostrophique produit des structures réalistes à des échelles bien inférieures à celle du guide.C’est un résultat important.

Cette technique d’assimilation d’un guide géostrophique dans les équations primitives a ensuite été mise en oeuvre dans le modèle OPA dans le cadre de la thèse de Paci (2006).
Dans ce cas la possibilité est offerte de faire un guidage géostrophique modulé. Les tests effectués sur durée de 3 mois ont montré que cette technique élimine complètement les chocs de l’assimilation séquentielle et permet cette fois-ci d’améliorer les scores du modèle.
Cette amélioration s’élève à 20% pour les champs de masse (T,S) et à 40% pour les champs de courant. Cette technique d’assimilation ouvre la possibilité de coupler des modèles régionaux à haute résolution à des modèles de circulation générale (MERCATOR, CLIPPER, MFSTEP) pour faire de la descente d’échelle (downscaling) à faible coût numérique.

Ces simulations ont été exploitées pour diagnostiquer les mécanismes intimes de production des eaux modales dans l’Atlantique subtropical (Giordani et al., 2006). Les résultats obtenus ont montré le rôle fondamental de l’induction latérale à méso-échelle par rapport à celle de grande échelle. Ce résultat est essentiel car il bat en brêche l’idée reçue que la subduction est un phénomène purement de grande échelle.

2.2- L’Atlantique Equatorial

La Langue d’Eau Froide (LEF) équatoriale se caractérise par une chute de la SST de 5°C à 7°C au cours des mois de Mai à Juillet : c’est le signal saisonnier le plus important de l’Atlantique ´équatorial (Caniaux et al., 2011). L’occurrence de la LEF est associée à la migration vers le nord de la zone de convergence intertropicale et elle s’étend spatiallement des côtes Gabonaise à 20°W en longitude et de l’équateur à 5°S en latitude.

L’origine de la LEF est généralement vue comme une conséquence de l’upwelling équatorial qui est engendré par la divergence d’Ekman au passage de l’équateur (Philander et al., 1990). Cependant les mécanismes physiques de production de l’upwelling, de l’inclinaison de la thermocline le long de l’équateur et finalement de la LEF font toujours l’objet d’un large débat dans la communauté scientifique.

AMMA/EGEE P3D Model
SST-Current

Grâce à sa souplesse d’utilisation, des diagnostiques détaillés des sources de vitesse verticale ont pu être développés dans le modèle d’océan simplifié (Giordani et Caniaux, 2011).
Les résultats montrent que les développements de l’upwelling équatorial et de la langue d’eau froide associée sont des réponses beaucoup plus subtiles que ne le prévoit la théorie d’Ekman (Zebiak et Cane,1987) qui est largement utilisée dans la communautée. En effet ces diagnostiques montrent
que la contribution associée au déséquilibre entre les champs de masse et de courant est une source importante d’upwelling à l’équateur, ce que ne prévoit pas la théorie d’Ekman.

Ce résultat permet d’aborder la problématique des biais chaud en SST des modèles climatiques couplés dans l’Atlantique équatorial avec une grille de lecture ”dynamique”.
Grâce à l’approche numérique simplifiée, cette grille de lecture s’enrichit puisqu’elle n’est plus uniquement orientée ”forçage de surface” comme on le fait habituellement (AMMA-2).

3- Le Couplage Océan Atmosphère à Méso-Echelle

A VENIR ...